La loi du 23 mars 2019 dite "loi de programmation de la justice" réforme le droit de la famille et le droit des personnes à plusieurs titres.
Concernant le changement de régime matrimonial, le délai de deux ans est supprimé. En présence d’enfants mineurs sous tutelle ou d’enfants majeurs protégés l’information du changement de régime doit être donnée à son représentant. En présence d’enfants mineurs, l’homologation par le juge est supprimée. Toutefois le notaire « peut » saisir le Juge des tutelles (prochainement désigné « Juge des contentieux de la protection ») en tant que « tiers ayant connaissance d’actes ou omissions qui compromettent manifestement et substantiellement les intérêts du mineur ou d’une altération de nature à porter un préjudice grave à ceux-ci » (article 387–3 nouveau du Code civil)
On peut, à cet égard, faire plusieurs observations :
Concernant la suppression du délai, ce texte correspond certes à une évolution de notre société, puisqu’à l’origine du Code civil, le régime matrimonial était immuable. En 1965 puis en 2006, on a assisté à une mutabilité contrôlée et à une déjudiciarisation partielle. On peut parfaitement concevoir que les projets d’un couple l’amènent à prendre des mesures de protection de leur patrimoine et à changer rapidement pour un régime de séparation de biens, par exemple, si l’un des deux prend un commerce
La suppression de l’homologation par le juge malgré la présence d’un enfant mineur est, elle, beaucoup plus critiquable et dangereuse. Le texte ne dit pas ce qu’il advient si le représentant du mineur protégé est l’un des deux parents qui demande le changement de régime matrimonial. Avant la réforme, lorsque que le changement de régime matrimonial était judiciaire, le tribunal ordonnait alors la désignation d’un mandataire ad hoc compte-tenu du conflit d’intérêts. Tel n’est plus le cas.
Et l’on imagine mal le notaire devenir un « lanceur d’alerte » contre ses propres clients. La saisine des tutelles a un caractère facultatif et on se doute bien que cette hypothèse ne se produira jamais.
Or admettons que l’on ait affaire à un enfant handicapé titulaire d’un important capital placé à la suite d’un accident ou d’un héritage, et que son père décide d’opter pour un régime de communauté universelle alors qu’il vient de se remarier (de préférence avec une plus jeune). Dans ce cas, le notaire risque d’avaliser ce qui constitue un véritable abus de faiblesse d’une personne vulnérable, et non seulement d’engager sa responsabilité civile professionnelle, et même, d’engager sa responsabilité pénale, en tant que complice par fourniture de moyens d’un tel abus.
Outre les conséquences disciplinaires d’une telle situation qui pourrait aller jusqu’à sa révocation, la compagnie d’assurances du notaire sera en droit de dénier sa garantie s’agissant d’une faute pénale.
Une nouvelle fois, on peut reprocher à cette loi, votée en pleine nuit et par un nombre scandaleusement faible de députés, d’avoir sacrifié à des contraintes économiques l’intérêt des plus faibles.
Comme en matière de divorce, une déjudiciarisation massive n’est pas une réponse satisfaisante : le Juge reste le garant des libertés individuelles et un protecteur des plus vulnérables.
Bercy contre la Place Vendôme ? Les insuffisances de la loi risquent d’être source de contentieux dérivés, qui viendront regonfler le nombre des affaires…